Cambodge : pays lointain, dont on ne connait que quelques faits sanglants ou horribles faisant la une des journaux pendant un temps. Guerre civile, Génocide, mines anti personnelles, prostitution enfantine....

Autant d'images et de mots qui restent en mémoire. Mais ce n'est pas tout.

Ces chroniques ont pour point de départ une anecdote. J'ai rencontré il y a un an, un emminent spécialiste du Cambodge ainsi que des membres soutenant son association. Au détour d'une phrase, ils me dirent à demi mots que les cambodgiens ne luttaient pas, qu'ils étaient passifs à cause de leur religion, de la mousson, et qu'ils avaient tendance à laisser les choses se faire. Mon sang ne fit qu'un tour, engagée à ma petite échelle pour ce pays avec une amie khmère, aimant beaucoup sa culture bouddhique et animiste, je me retins d'exprimer mon point de vue réel mais en garda une vive colère. Cherchant des explications à ce raisonnement, je ne trouvais que cela: oui, c'est un homme de son temps, (75 ans à peu près), qui plus est un prêtre, mais surtout un homme, car en réfléchissant à la situation actuelle au Cambodge, je remarquais un engagement particulier des femmes....

J'ai donc décidé de commencer ces chroniques khmères par un article en réaction à ce type de discours complaisant, empétré dans des relents de colonialisme à la moralité douteuse. Non, les cambodgiens ne sont pas tous passifs, comme tous les africains ne sont pas tous feignants! Non, leurs croyances au bouddhisme khmèr ne les acculent pas forcément, et ce bouddhisme, ancré dans une pratique quotidienne, peut être un outil et les aider à se battre et s'engager au même titre que les technologies numériques modernes.

Nous commencerons donc par un rappel historique et contextuel de ce pays. Puis, dans un deuxième article, nous présenterons différentes initiatives Cambodgiennes, petites et grandes qui luttent pour le développement et la reconstruction de leurs pays, refusant de laisser cela à d'autres puissances étrangères.

L'histoire du Cambodge étant extrèmement complexe, nous reviendrons par la suite sur la chronologie et la particularité du système concentrationnaire et génocidaire des khmères rouges à travers ces chroniques.

 


Le Cambodge est un petit pays d'Asie du Sud-Est, coincé entre le Vietnam, la Thaïlande et le Laos.

 

Superficie : 81 035 km², population totale en 2010 (source wikipedia) : 14 701 717 habitants

 

Eau et Terre, c'est ainsi que les khmères désignent le pays qui les a vu naitre. Où finit l'eau? Où commence la terre ferme? On ne l'a jamais bien su. Chaque année, les eaux boueuses descendent du Tibet, inondent la vaste dépression située au centre de la péninsule indochinoise et y déposent leur limon fertile. Le Cambodge est un pays de riz, les paysans constituent 90% de la population. C'est une culture hiérarchisée où la famille, l'hospitalité, le culte des morts et des esprits sont extrêmement important et structurent la société.

Ancienne grande puissance de la région grâce à l'empire Khmère et le roi Jayavarman II, constructeur des temples d'Angkor, son territoire fut finalement grignoté au fur et à mesure des guerres et conquêtes multiples du Siam et de l'Annam (Thaïlande et Vietnam). Il fut ensuite affaibli aussi par des guerres de successions. Seule la colonisation française et son protectorat, finira par stabiliser les frontières de ce pays.

Les premières origines des khmères rouges remontent au protectorat français, sous le nom de Parti Communiste Indochinois suivant le mouvement des indépendances. Le parti cambodgien est ensuite formé en 1951, sous le nom de Parti révolutionnaire du peuple khmer. Les étudiants communistes cambodgiens sont formés en France. L'indépendance du Royaume du Cambodge est négociée par le roi Norodom Sihanouk en 1953. C'est lui qui nommera "Khmères rouges" les communistes cambodgiens. Après une réorganisation de fond, qui verra la création de l'Angkar*, les khmères rouges lancent un soulèvement en 1968 contre le prince Sihanouk qui les réprimera durement. En 1970, Lon Nol et le prince Sirik Matak réalisent un coup d'état avec l'appui des Etats-Unis, qui voulaient régionaliser la guerre du Vietnam afin de se retirer. Le prince Sihanouk, alors à l'étranger, joue d'une diplomatie acrobatique pour survivre. Il décide une alliance avec les khmères rouges et avec le soutien de la Chine. Il appelle le peuple khmère à rallier le mouvement pour lutter contre les armées de Lon Nol. Toute la région est en guerre, les campagnes sont bombardées par les américains, encourageant davantage les paysans à rallier les khmères rouges. Avec l'arrivée massive des paysans, les khmères rouges gagnent du terrain. Le 17 Avril 1975, Phnom Penh tombe. Les khmères rouges sont au pouvoir et décident de vider la capitale de ces habitants. Le pays sombre.

Entre 1975 et 1979, le régime totalitaire des khmères rouges entraine la disparition de toute une classe d’âge de la population, de tous les lettrés et intellectuels, ainsi que la destruction des archives historiques, culturelles, cultuelles et artistiques. Ce régime a détruit une grande partie de la culture khmère, principalement l’art de la cour, danse, sculpture, peinture, architecture.

Les khmères rouges ont détruit en profondeur ce qui faisaient le ciment de la culture Cambodgienne, la famille, la religion, l'hospitalité, en utilisant un système redoutablement efficace de délation, mais aussi de multiples déportations à travers le pays afin de déstructurer définitivement les populations.

L'idéologie khmère rouge a été importée au Cambodge. Les chefs comme Pol Pot, Khieu Sampan, Ieng Sary ont été formé en France où ils ont appris le marxisme-léninisme. Les autres dirigeants khmères rouges sont des intellectuels marxistes-maoïstes, des paysans et des moines qui savaient lire et maitrisaient parfaitement la culture cambodgienne, à laquelle ils ont ajouté le marxisme et la révolution culturelle chinoise, avec une dose d'ultra nationalisme.

A partir de l'évacuation de Phnom Penh le 17 avril 1975, le pays se referme, verrouillent ses frontières et sombre dans l'obscurantisme politique. Pour réaliser son "très spectaculaire grand bond en avant", le Kamputchea Démocratique dirigé par l'Angkar* est prêt à tout : déportations des populations urbaines vers les zones rurales dont elles sont originaires; exportations du trois quart des ressources alimentaires et naturelles vers la Chine: moyen pour Pol Pot de rembourser le plus rapidement possible l'emprunt qu'il a contracté auprès d'elle, entrainant ainsi une terrible famine; déformations du langage afin de créer une nouvelle génération de khmères rééduqués; purges radicales dans toutes les couches de la population et à l'intérieur du parti allant jusqu'à une éradication presque cannibale, auto destructrice.


"La révolution n'a pas besoin de sept millions de personnes. Avec Deux millions seulement, la révolution peut réussir." l'Angkar.


Le pays se transforme en un gigantesque camp de travail forcé et une prison à ciel ouvert où centre d'interrogatoires/tortures et fosses communes se multiplient, la révolution maoïste est à ce prix, elle doit être la plus spectaculaire, la plus efficace et la plus rapide, histoire de fierté nationale.

Nous reviendrons plus précisément sur ce système concentrationnaire et génocidaire dans un prochain article, afin de bien comprendre son fonctionnement, sa perversité et les conséquences sur ce pays.


Le système se dévorant, Frére n°1, Pol Pot, n'est plus en état de contrôler ses frontières. A force de purges pour complots imaginaires et de purification de sa révolution, le pays est à bout et son armée très affaiblie. En 1979, le génocide prend fin grâce aux troupes vietnamiennes qui interviennent/envahissent le Cambodge... et décident d'y rester. Ils placent à tous les postes clefs des khmères vietminh, des khmères rouges d'obédience marxiste-léninistes, réfugiés aux Vietnam pour échapper aux purges en 1977, proche d'Ho Chi Minh. Ces autorités vietnamiennes organisent alors le procès par contumace de Pol Poth en guise de symbole.

Mais rien n'y fait, les khmères rouges de Pol Poth se réfugient dans la partie Ouest du Pays, proche de la frontière thaïe. Ils déstabilisent en permanence l'unité du pays jusqu'en 1998, date à laquelle les derniers chefs se rallieront au gouvernement du premier ministre Hun Sen après de simples excuses aux survivants... et aux animaux morts pendant la guerre! Cela marquera terriblement les survivants, qui estiment être floués et bafoués dans leurs intégrité : "On dirait que ceux qui sont morts sous le régime, c'est comme du vent (...) ceux qu'on ne peut pas nommer, il les compare à des animaux!" Vann Nath, La machine khmère rouge, Monti Santésok S-21, Rithy Panh.

Le pays passe donc une vingtaine d'années dans une vraie torpeur, enfouissant ce drame afin de survivre à tout prix.

Malgré le combat de certains artistes, principalement Rithy Panh, avec ses film et la création de son centre de documentation autour de l'histoire cambodgienne "Bophana", la question de juger les criminels khmères rouges ne sera décidé qu'en 2003, lors d'un accord à l'initiative de l'ONU permettant la création d'un Tribunal Spécial pour les juger: la Chambre extraordinaire au sein des tribunaux cambodgiens. Après de multiples pressions internationales, 5 anciens Khmères rouges sont arrêtés dans la province de Païlin et mis en examens en 2007.

Le premier procès, celui de Douch, débute en 2009, après de multiples reports et rebondissements. Directeur du camp de concentration et de tortures de M-13 puis de S-21 à Phnom Penh, Douch est accusé d'être responsable de la mort de 17000 personnes (les chiffres varient). Le verdict est rendu en 2012, Douch est condamné à perpétuité.

S'ensuit un dernier procès, on ne peut plus symbolique, qui doit juger les 4 ministres Khmères rouges survivants, dont Noun Chea, frère N°=2, "le linguiste de la mort", instigateur avec Pol Poth du système génocidaire par déportations, meurtres et famines. Les quatre accusés sont poursuivis, au regard du droit international, pour crimes contre l’humanité, génocide, violations graves des Conventions de Genève, ainsi que pour meurtres, actes de torture, persécutions religieuses (selon le Code pénal cambodgien). Ce procès est toujours en cours, on ne sait sur quoi il débouchera compte tenu de l'âge des prévenus et surtout de leurs refus de témoigner**.

"Je vois un lien direct entre l'absence de mémoire et l'absence de démocratie " Rithy Panh

La mémoire est profondément détruite et émiettée au Cambodge. Au delà des massacres, les khmères rouges ont mis en place une machine à effacer la mémoire, une machine totalitaire délirante. Les pagodes et les écoles ont été transformées en centres de détention et de tortures, les villes vidées, leurs habitants évacués. Les survivants et leurs enfants n'ont plus de mémoire. Comme le kapokier, Dam Kor,arbre symbolisant le silence, on ne voit plus, on n'entends plus, on ne parle plus de cette période.

 

 

Dans ce contexte où, pendant 20 ans, la mémoire a été enfouie, le traumatisme est omniprésent. Le pays ne se relève pas vraiment. Logistique, développement, système politique hyper corrompu, absence de système de santé, éducation quasi inexistante. Le pays est, d'une part vendu au plus offrant, d'autre part, laissé aux mains d'ONG étrangères plus ou moins fiables et intéressées.

"Phnom Penh est une île artificielle avec deux boulevards et un des plus fort taux de concentration de Land Cruisers au monde. Il y a les nouveaux riches, l'argent facile et peu de culture. On s'engage dans une course effrénée à l'occidentalisation, à la fausse modernité." Rithy Panh

Des écoles étrangères, où ces petits cambodgiens apprennent à lire et à écrire une autre langue que la leur fleurissent. Ils restent analphabêtes dans leurs langues maternelles, sans maitriser l'anglais pour autant. Tout le monde, à Phnom Penh, parle cent mots d'anglais, c'est une langue réduite, une langue de service, très appauvrie, qui gagne du terrain partout dans le monde, avec internet entre autre. Elle ne permet pas de penser.

Mais malgré tout, les cambodgiens résistent! Et particulièrement les rescapés. Une Prise de conscience s'est opérée.

Luttes sociales, engagements, bénévolat, évolution du rôles des femmes, petit à petit, la société change.Faut il voir un lien entre cette évolution et la lutte pour la reconnaissance du génocide khmère rouge? La recherches des disparus et des coupables du Kamputchea Démocratique met fin à une certaine terreur pour se réapproprier enfin une mémoire.

Dans le prochain article de ces chroniques khmères, nous présenterons donc quelques exemples des ces luttes differentes menés par les cambodgiens eux mêmes, contrecarrant ainsi le schéma que l’on veut bien donner d’eux.

 

Julie Besson - 13 octobre 2012 - mise à jour le 4 juin 2013


*Angkar: "l'organisation". Au début : Angkar Padevat ou organisation révolutionnaire, désigne la partie la plus radicale du PCK (Partie Communiste du Kamputchea), celle qui prendra le pouvoir. Pour cloisonner l'organisation du parti, c'est sous cette appelation anonyme que les décisions étaient prises et exécutées à tous les échelons et dans tous les secteurs. Le nom assez vague donnait au pouvoir une force particulière, créant et entretenant un sentiment d'incertitude et de crainte permanent. Tous les aspects de la vie quotidienne étaient placés sous l'autorité de l'Angkar. Seul le petit cercle de ses dirigeants connaît sa véritable nature.

**A propos du procès: En septembre 2012, Ieng Thirit, femme de Ieng Sary, ancienne ministre des affaires sociales du Kamputchea Démocratique, vient d'être libérée pour raisons de santé, jugée trop folle pour assumer un procès. http://www.france24.com/fr/20120916-cambodge-jugee-folle-ex-premiere-dame-khmers-rouges-sera-pas-condamnee-ieng-thirith-genocide-crimes-justice